L'Iraq, une pièce maîtresse de la stabilité régionale

"L'édification d'un Iraq stable est un enjeu important pour l'UE, qui soutient les réformes ambitieuses exigées par la population iraquienne."
Ce qui m'a le plus frappé lors de ma visite en Iraq, c'est l'ampleur des défis auxquels le pays est confronté. L'histoire récente est très parlante. Nous nous souvenons tous de l'invasion de 2003 sous la conduite des États-Unis et des turbulences que le pays a traversées. S'en est suivie la montée de l'EIIL, qui est parvenu à s'emparer d'une grande partie de l'Iraq en 2014, condamnant des millions d'Iraquiens à vivre selon des règles moyenâgeuses ou à fuir leur foyer.
La reprise de Mossoul et d'autres zones contrôlées par l'EIIL en 2017 a permis à l'Iraq de retrouver sa pleine souveraineté. Le coût en a été toutefois considérable. De nombreux Iraquiens ont trouvé la mort et un grand nombre de villes ont été largement détruites. Trop de personnes sont encore déplacées à l'intérieur du pays et ne peuvent pas retrouver leur foyer, qui n'existe tout simplement plus. Des décennies de dictature extrêmement répressive sous Saddam Hussein ont cédé la place à des années de troubles politiques et de fragmentation, avec un gouvernement central qui n'était capable ni de garantir la sécurité ni d'offrir les services de base à sa population et qui laissait le champ libre à des milices agissant souvent avec un soutien étranger.
"Des décennies de dictature sous Saddam Hussein ont cédé la place à des années de troubles politiques et de fragmentation, avec un gouvernement central qui n'était capable ni de garantir la sécurité ni d'offrir les services de base à sa population et qui laissait le champ libre à des milices agissant souvent avec un soutien étranger."
Daech a été défait militairement mais de nombreux problèmes demeurent: des tensions communautaires, un niveau de corruption inquiétant, un appareil d'État qui ne rend pas compte de l'action menée, la faiblesse de l'économie (le PIB de 2020 est encore inférieur à celui de 1990 selon la Banque mondiale), sans oublier les nombreuses personnes déplacées à l'intérieur du pays et les pressions migratoires. Ces facteurs sapent la stabilité de l'Iraq et, de surcroît, ces difficultés internes sont aggravées par des tensions régionales. Le pays est devenu l'un des principaux champs de bataille où s'exprime le clivage entre les sunnites et les chiites dans la région. Pour toutes ces raisons, l'Iraq peine encore à trouver la place qui lui revient dans la région du Golfe. L'Iraq bénéficierait d'une désescalade dans le Golfe, d'un retour de toutes les parties au plan d'action global commun et d'une solution politique pacifique en Syrie.
L'UE soutient résolument les efforts déployés par l'Iraq pour favoriser des solutions régionales aux tensions régionales.
Au vu de ces tensions régionales, notre visite a eu lieu à un moment important. La semaine dernière, le 28 août, le gouvernement iraquien a réuni des dirigeants régionaux lors de la conférence de Bagdad, une initiative visant à promouvoir la désescalade et le dialogue dans la région. L'Iraq joue un rôle essentiel pour promouvoir la sécurité et la stabilité parmi les puissances régionales: l'Iran, le Royaume d'Arabie saoudite et la Turquie. La conférence a réuni toutes ces puissances autour de la même table. Cette initiative n'allait pas de soi et a constitué un succès diplomatique important pour le Premier ministre, M. Khademi: l'UE soutient résolument ces efforts, déployés pour favoriser des solutions régionales aux tensions régionales. Des améliorations au niveau régional contribueraient à créer les conditions permettant à l'Iraq de libérer son potentiel et de devenir un pays capable de tirer parti des abondantes recettes que lui apporte le pétrole, de réaliser des réformes économiques et administratives et de consolider son système fédéral.
Le gouvernement iraquien travaille déjà à des réformes socioéconomiques et de gouvernance indispensables, que la population iraquienne exige clairement, comme nous l'avons constaté lors des récents mouvements de protestation. Ces réformes sont essentielles pour commencer à tourner la page de la mauvaise gouvernance, de l'instabilité et de l'ingérence étrangère. Elles sont également indispensables pour garantir la viabilité financière du pays et offrir des perspectives d'emploi, en particulier aux jeunes. Sachant que 60 % des Iraquiens ont moins de 25 ans, ce sera l'une des tâches les plus urgentes du nouveau gouvernement iraquien après les élections. L'UE a investi 1,4 milliard d'euros en Iraq depuis 2014 et continuera de soutenir ces efforts pour édifier un Iraq stable, en fournissant aussi une assistance technique.
"Le dynamisme de la société civile iraquienne est un motif d'espoir pour l'avenir du pays. J'ai insisté auprès des autorités sur l'importance d'engager des poursuites en justice approfondies lorsque des actes de violence sont commis à l'encontre d'acteurs de la société civile."
J'ai rencontré le président iraquien, Barham Salih, le Premier ministre, Mustafa Al-Kadhimi, le ministre des affaires étrangères, Fuad Hussein, le président du Parlement, Mohammed Al Halbousi, ainsi que la représentante spéciale des Nations unies pour l'Iraq et cheffe de la mission d'assistance des Nations unies, Jeanine Hennis-Plasschaert. Au cours de ma visite, j'ai été particulièrement heureux de rencontrer des représentants de la société civile, des organisations de défense des droits de l'homme et des mouvements de protestation pour écouter leurs préoccupations et partager des idées sur ce que l'UE pouvait faire. Le dynamisme de la société civile iraquienne est un motif d'espoir pour l'avenir du pays. Les défenseurs des droits de l'homme et les militants politiques iraquiens œuvrent chaque jour pour l'avenir de leur "watan", leur patrie, et les efforts qu'ils déploient sont essentiels à la consolidation de la stabilité politique et économique de l'Iraq. Il n'en demeure pas moins que la persistance des violences ciblant la société civile, les militants politiques et les journalistes est extrêmement préoccupante et entrave le développement du pays. J'ai insisté auprès des autorités, tant à l'occasion de contacts précédents que durant cette visite, sur l'importance d'enquêter minutieusement sur tous les actes de violence commis à l'encontre d'acteurs de la société civile et d'engager des poursuites en justice à cet égard.
La situation difficile en matière de sécurité doit s'améliorer
Ce que nous pouvons et voulons faire en tant qu'UE, c'est accompagner et soutenir les efforts déployés par les Iraquiens eux-mêmes pour consolider et renforcer la stabilité, la sécurité et la prospérité de leur pays. Cela étant, pour engendrer des progrès significatifs, la situation difficile en matière de sécurité doit s'améliorer. Daech poursuit ses attaques scandaleuses contre des civils iraquiens: pas plus tard que la semaine dernière, une autre attaque meurtrière a encore eu lieu à Kirkouk. D'autres éléments sans scrupule continuent également de commettre des actes de violence. L'UE participe activement à la coalition internationale de lutte contre Daech et soutient la réforme du secteur de la sécurité en Iraq grâce à l'expertise apportée par sa mission de conseil en Iraq, l'EUAM.
"Le 10 octobre, les Iraquiens se rendront aux urnes. Ce scrutin devrait constituer une étape importante dans la consolidation démocratique du pays. À la demande du gouvernement iraquien, nous sommes en train de déployer une mission d'observation électorale."
Le 10 octobre, les Iraquiens se rendront aux urnes. Il est essentiel que ces élections soient libres et équitables, avec une participation élevée dans tout le pays. Dans ces conditions, elles pourraient constituer une étape importante dans la consolidation démocratique du pays. Afin de soutenir ce processus et à la demande du gouvernement iraquien, nous sommes en train de déployer une mission d'observation électorale (MOE). Cette mission couvrira l'ensemble du processus électoral et produira un rapport public comprenant des recommandations.
Au cours de mes réunions avec les autorités, nous avons également discuté de l'important dossier de la migration. J'ai réaffirmé que l'UE appréciait vivement la décision des autorités de suspendre temporairement les vols à destination de la Biélorussie et j'ai demandé que cette suspension devienne permanente. Il est dans notre intérêt commun d'empêcher l'instrumentalisation des migrants par le régime biélorusse et de protéger les personnes contre leur exploitation par des réseaux criminels. Les autorités iraquiennes savent qu'il s'agit d'une question très importante pour nous et elles sont prêtes à approfondir leur engagement concret.
De Bagdad à Erbil
J'ai poursuivi ma visite en me rendant à Erbil et j'ai transmis les mêmes messages au président, Nechirvan Barzani, et aux dirigeants de la région du Kurdistan iraquien, notamment au Premier ministre, Masrour Barzani, et à l'ancien président, Masoud Barzani. Dans cette région aussi, j'ai constaté qu'il y a des défis importants à relever: divisions internes, présence de groupes armés étrangers et interventions récurrentes de pays voisins. Les relations entre Bagdad et Erbil sont vitales pour la stabilité de l'Iraq. L'UE ne peut qu'apporter son appui et prodiguer des encouragements pour que de nouveaux efforts soient consentis afin d'améliorer ces relations.
"La région du Kurdistan iraquien a fait preuve d'une énorme générosité en accueillant tant de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Depuis 2019, plus de 237 000 personnes ont bénéficié de services de gestion de camps financés par l'UE."
La région du Kurdistan iraquien a fait preuve d'une énorme générosité en accueillant plus de deux millions de personnes déplacées, arrivées là en six mois seulement et représentant 30 % de la population de la région. Cela montre l'ampleur du défi. Nous avons essayé d'apporter notre aide: depuis 2019, 237 000 personnes ont bénéficié de services de gestion de camps financés par l'UE. Nous continuerons de soutenir des projets d'intégration des personnes déplacées à l'intérieur du pays (PDI) au sein des communautés locales.
Protéger le passé, envisager l'avenir
Outre les réunions officielles, j'ai brièvement visité le musée de l'Iraq à Bagdad, l'un des plus importants musées au monde. Il retrace 5000 ans d'histoire de la Mésopotamie et joue de ce fait un rôle crucial dans la conservation et la mise en valeur du riche patrimoine du pays. Je me réjouis que la mission de conseil de l'UE collabore avec le musée. C'est la première mission civile de gestion des crises de l'UE à se voir chargée de la protection du patrimoine culturel.
À Erbil, j'ai également visité le site de la citadelle de Qelat, classé au patrimoine mondial, encore un site impressionnant rempli de beauté et d'histoire. On considère qu'il s'agit du plus ancien site habité de manière permanente au monde. Il bénéficie d'un projet financé par l'UE et visant à créer des emplois dans le secteur du patrimoine culturel, au profit de réfugiés syriens et d'Iraquiens en situation de vulnérabilité.
Ma visite a été bien accueillie par tous les interlocuteurs et nous avons reçu des appels clairs en faveur d'un engagement plus fort de l'UE en Iraq. Ces dernières années, l'Iraq a traversé des moments très difficiles, marqués par la guerre, les violences et les conflits. Cependant, j'envisage son avenir avec plus d'espoir. Il appartient aux citoyens et aux dirigeants iraquiens de puiser dans les racines historiques de leur pays pour construire un État susceptible de contribuer à apporter la paix à la région dans son ensemble. L'UE est un partenaire déterminé à aider les Iraquiens à y parvenir.
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