Les âpres efforts nécessaires pour fournir des biens publics et protéger les biens communs mondiaux

"Le G20 a un rôle primordial à jouer pour faire face à la grave crise alimentaire et énergétique. Mais également en ce qui concerne les vaccins, le changement climatique, la justice fiscale et les autres biens publics dont notre monde a cruellement besoin."
Un problème classique de la politique internationale est de savoir comment produire des biens publics et prendre soin des biens communs mondiaux. Préserver la paix et la sécurité, vacciner la population mondiale, s'attaquer à la crise climatique, protéger la biodiversité ou lutter contre la fraude fiscale sont des exemples de choses dont il est facile de dire que nous voulons et pourquoi nous les voulons. Mais en l'absence d'un gouvernement mondial, elles sont difficiles à réaliser car elles nécessitent d'énormes efforts de coopération et de solidarité. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui alors que l'agression de la Russie contre l'Ukraine accentue les divisions géopolitiques.
En matière de problèmes mondiaux, chaque pays bénéficie clairement de l'action collective, mais il existe une tendance à attendre que les autres prennent l'initiative et supportent les coûts (le dilemme dit du "passager clandestin" ou le parasitisme). Les dirigeants politiques disent fréquemment, dans des discours passionnés, que la communauté internationale doit faire ceci ou cela. Leurs actions montrent cependant que les considérations nationales l'emportent souvent sur les exigences internationales. C'est regrettable mais pas surprenant: les acteurs politiques nationaux sont responsables devant leurs électeurs nationaux et le nationalisme demeure une force politique puissante.
Depuis des décennies, les universitaires et les diplomates discutent de la manière de gérer ce dilemme. Et la meilleure réponse qu'ils ont trouvée est ce que l'on appelle le "multilatéralisme fondé sur des règles". Cette expression peut paraître rebutante. Mais elle fait fondamentalement référence à l'ensemble du système de règles, d'organisations et de dispositifs de financement qui existe entre les États et les acteurs non étatiques afin de relever les défis mondiaux et de fournir des biens publics mondiaux. Les Nations unies et le Conseil de sécurité sont au cœur de ce système, qui compte de nombreuses organisations et agences opérationnelles actives à leur côté, telles que l'OMC, l'OMS, le FMI, la FAO, la CCNUCC, etc.
Entre 1945 et le début du XXIe siècle, nous avons assisté à une croissance significative du système multilatéral, ce qui a produit de nombreux résultats: de l'augmentation de l'espérance de vie et la réduction de la pauvreté dans le monde à la hausse du niveau de vie et de l'alphabétisation, en passant par l'élimination de maladies telles que la variole ou de produits chimiques nocifs tels que les chlorofluorocarbones, ou CFC, qui ont provoqué le trou dans la couche d'ozone, actuellement en train de se résorber.
Bien entendu, de nombreux autres problèmes et crises ont éclaté ou persisté au cours de cette période, notamment la crise de la dette souveraine et la crise financière ou l'incapacité à réguler le "côté sombre" de la mondialisation. Mais, si l'on compare avec n'importe quelle autre période de l'histoire, le "système" a produit des résultats: la réduction de la faim et l'accroissement du nombre de personnes, en particulier de femmes, étant mieux éduquées et vivant plus longtemps, en meilleure santé et plus libres.
Malheureusement, au cours des dernières décennies, le système a été de plus en plus aux prises avec la tendance générale au populisme national et à la concurrence géopolitique entre les principaux acteurs. Nous constatons davantage de méfiance, de nationalisme et de parasitisme que le monde ne peut se le permettre. Comme je l'ai indiqué dans le discours que j'ai récemment tenu devant le Conseil de sécurité des Nations unies, il y a un "déficit de multilatéralisme" et nous payons le prix en problèmes non résolus et en personnes laissées à la merci des événements.
Quelques exemples concrets illustrent à la fois la dynamique que nous observons et la nécessité pour l'UE de continuer à investir dans un multilatéralisme efficace, en particulier lorsque les tendances politiques rendent plus difficile d'y parvenir.
1. Vaccins. Il y a trois semaines, le Lancet publiait une importante étude selon laquelle les vaccins contre la COVID-19 auraient permis d'éviter environ 15 millions de décès au cours de la première année de leur déploiement. C'est un nombre impressionnant. À la mi-juin, selon Our World in Data, 67 % de la population mondiale totale avait reçu au moins une dose. Mais ce chiffre chute à 18,6 % pour les pays à faible revenu et le nombre de décès évités est fortement concentré dans les pays développés qui ont pu vacciner leurs populations. La dure réalité est que COVAX, le principal instrument multilatéral que l'UE a soutenu dès le départ et qui a été mis en place pour gérer la campagne de vaccination mondiale de manière équitable, n'a pas été en mesure d'atteindre ses objectifs en 2021 (notamment en raison des restrictions à l'exportation).
L'UE affiche de meilleurs résultats en matière d'exportations et de dons de vaccins ainsi que de soutien au multilatéralisme vaccinal que la Chine, la Russie, l'Inde ou les États-Unis. Mais nous devons encore faire davantage avec nos partenaires pour "vacciner le monde", comme nous avons promis de le faire, notamment par un soutien renforcé aux capacités de production en Afrique, un soutien logistique et la lutte contre la réticence à la vaccination, qui demeure un défi majeur. En outre, nous devons renforcer l'OMS afin de veiller à ce que le monde dans son ensemble soit mieux préparé à gérer les urgences de santé publique à l'avenir.
2. Changement climatique. Sur le papier, l'accord de Paris a été un véritable tournant: un accord mondial juridiquement contraignant pour lutter contre le changement climatique. Toutefois, sa mise en œuvre constitue un véritable défi et la lecture du dernier rapport d'évaluation du GIEC n'est pas très réjouissante: 3,5 milliards de personnes sont déjà très vulnérables aux effets du changement climatique et la moitié de la population mondiale souffre de graves pénuries d'eau.
L'élément décisif est que les émissions de carbone augmentent plus rapidement que le climat ne peut le supporter. Après la réduction du CO2 induite par la pandémie en 2020, les émissions ont de nouveau augmenté de 6 % en 2021 et dépassent désormais les niveaux de 2019. Sans une augmentation significative des ambitions internationales, le monde dépassera les objectifs de l'accord de Paris, avec toutes les conséquences qui en découlent, y compris pour la sécurité mondiale.
Nous devons intensifier nos propres actions en tant qu'Union et c'est ce que nous faisons avec notre paquet "Ajustement à l'objectif 55", qui vient d'être adopté. Mais nous devons convaincre d'autres acteurs capables d'en faire davantage à nous rejoindre et aider les pays les plus exposés au changement climatique et les plus fragiles à faire face aux retombées inévitables et grandissantes de la crise climatique. La COP 27 qui se tiendra au Caire plus tard cette année sera un moment charnière, notamment en ce qui concerne la mobilisation de 100 milliards de dollars pour le financement de la lutte contre le changement climatique. Nous ne pouvons pas laisser l'urgence de la crise énergétique à laquelle nous sommes actuellement confrontés occulter la menace permanente que constitue le changement climatique.
3. Biodiversité. Les menaces qui pèsent sur la biodiversité sont souvent moins connues que celles qui pèsent sur le climat, mais leurs conséquences sont au moins aussi néfastes pour la planète et pour nos moyens de subsistance. Les Nations unies estiment qu'un million d'espèces végétales et animales – sur un total de 8 millions – sont menacées d'extinction. La Banque mondiale indique que la couverture des réserves forestières (comme l'Amazonie) diminue de 5 millions d'hectares par an, depuis plus de dix ans. Les récifs coralliens ont diminué de moitié au cours des 100 dernières années, 35 % des stocks marins sont surexploités, etc.
Le diagnostic est clair: ce qu'il faut ici encore, c'est une action internationale plus déterminée. Les précédents plans d'action des Nations unies dans ce domaine n'ont pas abouti à une mise en œuvre suffisante des engagements. La COP 15 de la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) se tiendra au Canada en décembre prochain, où elle devra prendre des décisions cruciales sur les propositions visant à protéger 30 % des terres et des mers, à réduire le ruissellement chimique de l'agriculture et à restaurer au moins un cinquième des écosystèmes d'eau douce, marins et terrestres dégradés.
4. Justice fiscale. L'évitement fiscal prive, chaque année dans le monde, des gouvernements en manque de liquidités de recettes comprises entre 100 et 200 milliards de dollars. L'été dernier, après de longues négociations, un accord historique a été conclu dans le cadre du G20, plus de 135 pays et juridictions approuvant un plan de l'OCDE "reposant sur deux piliers qui vise à réformer les règles de la fiscalité internationale et à faire en sorte que les entreprises multinationales paient une juste part d'impôt quel que soit le lieu où elles exercent des activités." C'est une avancée qui a été largement saluée, y compris par moi. Il s'agit à la fois d'une étape vers la résolution du problème de la fraude fiscale afin de construire une forme plus juste de mondialisation, mais aussi d'un exemple précieux des résultats significatifs que la coopération multilatérale peut produire.
Il est donc très frustrant de constater qu'en tant qu'Union, nous n'avons pas encore été en mesure de transposer cet accord international dans le droit de l'Union, en raison de l'opposition d'un État membre. Nous nous tirons une balle dans le pied: nos citoyens veulent que les choses bougent dans ce dossier et tous les gouvernements ont besoin de recettes pour faire face aux multiples crises auxquelles nous sommes confrontés. Et il est également difficile d'expliquer à nos partenaires qu'une Union qui se targue de ses compétences en matière de multilatéralisme n'est pas en mesure de tenir ses engagements. Cela ne fera qu'encourager ceux qui ont leurs propres réserves à bloquer leur ratification. C'est le contraire de ce dont le monde a besoin: plutôt que de stimuler le multilatéralisme, nous nous retrouvons dans une impasse.
Investir dans l'action multilatérale
Chaque cas est différent, mais ce que ces questions ont en commun, c'est que pour chaque bien public mondial, la définition du problème existe et nous disposons d'un cadre international bien établi pour y remédier. Mais le système peine à produire des résultats à l'échelle et à la vitesse requises.
Là où le problème se trouve au sein de l'UE, nous n'avons vraiment aucune excuse pour ne pas respecter nos engagements. Toutefois, par définition, l'UE ne peut pas résoudre ces problèmes à elle seule: les organisations régionales peuvent apporter leur contribution, mais ne peuvent pas fournir des biens publics mondiaux. Cela nécessite des efforts accrus de tout le monde, en particulier des pays développés.
Bien évidemment, le contexte géopolitique de la guerre menée par le Russie contre l'Ukraine complique cette tâche. Nous constatons une aggravation des tensions qui fait tache d'huile dans toutes les enceintes multilatérales. Nous devons bien sûr défendre nos principes et préserver les éléments fondamentaux de l'ordre fondé sur des règles face à des concurrents révisionnistes tels que la Russie et la Chine. Dans le même temps, nous devons, d'une manière ou d'une autre, continuer à travailler avec toutes les puissances pour résoudre les problèmes mondiaux. Il s'agit d'un exercice d'équilibre qui nécessite des ajustements constants et une coordination étroite avec des partenaires partageant les mêmes valeurs. La réunion des ministres des affaires étrangères du G20 en Indonésie est un moment crucial pour y parvenir, surtout en ce qui concerne la grave crise alimentaire et énergétique, mais également en ce qui concerne les vaccins, le climat et tous les autres biens publics dont notre monde a tant besoin.
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