Vidéoconférence des ministres des affaires étrangères: intervention du haut représentant/vice-président, M. Josep Borrell, lors de la conférence de presse

29.05.2020

Nous nous sommes entretenus ce jour de la situation en Afghanistan et en Chine ainsi que de la manière dont la pandémie de coronavirus touche l’Asie du sud-est.

En ce qui concerne l’Afghanistan, nous avons eu un bref échange et avons adopté des conclusions sur le soutien que nous apportons à ce pays.

Notre discussion intervient juste après le récent accord de partage du pouvoir entre le président [afghan, M. Ashraf] Ghani et M. Abdullah Abdullah [président du haut Conseil pour la réconciliation nationale]. Nous espérons que cette avancée majeure ouvrira la voie au lancement d’un processus de paix entre le gouvernement afghan et les Talibans.

Nous avons fait montre d'unité dans nos efforts pour soutenir le début d'un processus de paix mené et pris en charge par les Afghans. Il est maintenant temps d’engager ce processus sans plus attendre. Nous déplorons toutefois que les Talibans continuent à faire régner un climat de violence; il est indispensable que ce niveau de violence diminue sensiblement. Un cessez-le-feu de trois jours a été observé récemment à l'occasion de la célébration de l’Aïd. Mais trois jours, ce n’est pas suffisant. L’Afghanistan et ses citoyens ont besoin d’un cessez-le-feu permanent.

Avant la conférence internationale des donateurs qui se tiendra à Genève au mois de novembre, nous tenons à préciser que notre futur soutien politique et financier sera étroitement lié à l’engagement des parties au conflit en faveur d'un véritable processus de paix et au maintien des avancées de ces dernières années, notamment en ce qui concerne les droits des femmes et des enfants.

Au début de notre réunion, l’Irlande nous a également informés, le Conseil [des ministres des affaires étrangères], de la campagne qu’elle mène pour obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité. Le vote aura lieu de le 17 juin. Je pense qu’il est dans notre intérêt collectif de faire en sorte que le plus grand nombre possible d’États membres de l’Union européenne soit représenté au Conseil de sécurité. J'adresse tous mes vœux de succès à l’Irlande car un résultat positif pour ce pays serait un résultat positif pour l’Europe.

Mais le principal sujet que nous avons abordé concernait nos relations avec la Chine. Il s'agissait du principal sujet évoqué lors de cette réunion du Conseil.

La pandémie de coronavirus a accéléré les tendances existantes. En fait, nous pouvons dire qu’il s’est agi d’un réveil brutal. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est en train de devenir un facteur structurant du monde de l'après-coronavirus. Elle s'affirme davantage et devient plus controversée. Lors de notre réunion, nous sommes convenus de la nécessité de renforcer une politique fondée sur nos intérêts et sur nos principes.

Nous sommes tous d’accord pour dire que les relations que nous entretenons avec la Chine ne peuvent pas s’inscrire dans un seul cadre car elles sont trop complexes. Elles n’entrent pas dans une seule catégorie. La Chine est-elle un allié ou un rival? Un partenaire ou un concurrent? Les deux. Nous pouvons difficilement imaginer pouvoir relever les défis climatiques à l’échelon mondial sans un partenariat fort entre l’Europe et la Chine. Ce pays reste à l'origine d'un peu moins de 30 % des émissions mondiales.

Par ailleurs, il est également évident que [la Chine] est un rival systémique; cet aspect de nos relations existe et est même en train de se renforcer. Oui, la Chine est un concurrent. C’est un concurrent, un partenaire, un allié, un rival. C’est tout à la fois. Nous entretenons donc des relations complexes qui ne peuvent se pas être réduites à une seule dimension.

Nous suivons une approche globale et nous devons prendre en considération de nombreux aspects de nos relations politiques et économiques. Nouer des relations unifiées et équilibrées avec une puissance mondiale — une grande puissance mondiale — comme la Chine, c’est ce à quoi nous allons devoir nous atteler dans un avenir proche.

Les réalisations de la Chine sont vraiment impressionnantes. Il y a 20 ans, ce pays représentait 4 % de la production mondiale; aujourd’hui, il approche de 16 %. Multiplier par quatre sa part dans la production mondiale en 20 ans est une performance extraordinaire qui doit avoir — et qui aura - des conséquences politiques et géopolitiques.

Tout le monde sait ce que nous avons déclaré en mars 2019 - il y a un an - dans notre communication sur les relations UE-Chine [Une vision stratégique]. Nous avons défini des paramètres clés qui sont toujours valables. Mais nous devons les mettre en œuvre en tenant compte des dernières évolutions et tendances.

Nous devons engager un dialogue franc et ouvert avec la Chine et nous sommes prêts à le faire. Ce dialogue devrait porter sur tous les aspects de nos relations, du commerce et des investissements - domaines dans lesquels nous devons continuer à œuvrer à l'instauration de conditions réellement équitables - aux défis mondiaux. J'ai mentionné le changement climatique, mais également les conflits et la recherche de la stabilité dans toutes les régions du monde, sans oublier les questions fondamentales relatives aux droits de l’homme. La Chine est un acteur systémique et doit être considérée comme tel du point de vue politique et économique.

Les derniers événements en date survenus à Hong Kong en sont un bon exemple. Les États membres ont - tous- arrêté une position commune claire à ce sujet, dans une déclaration officielle qui vient d’être publiée. Dans cette déclaration, nous avons fait part de notre vive préoccupation face aux mesures prises par la Chine le 28 mai. Nous craignons que cela ne compromette gravement le principe «un pays, deux systèmes» et le degré élevé d’autonomie dont jouit la région administrative spéciale de Hong Kong et qui avait fait l'objet d'un accord entre la Chine et le Royaume-Uni lorsque ce dernier s’est retiré de Hong Kong.

Nous souhaitons également souligner que nos relations avec la Chine reposent sur le respect mutuel et la confiance réciproque. J'insiste sur ces points: le respect mutuel et la confiance réciproque. Mais cela est remis en question par cette décision et je pense que nous devons soulever cette question dans le cadre de notre dialogue permanent avec la Chine.

Pour résumer, il ne fait aucun doute que la Chine est l’un des principaux acteurs mondiaux. L’Union européenne doit continuer à dialoguer avec ce pays sur la base de nos intérêts et de nos objectifs. S'il est fructueux, ce dialogue contribuera à façonner un monde plus stable et prospère, mais également un monde qui respecte les libertés et les droits fondamentaux.

Nous continuerons à œuvrer en ce sens. Je vous remercie.

Questions/réponses

Q. Les événements à Hong Kong peuvent-ils remettre en cause le sommet Chine-Union européenne de Leipzig? A partir de quel niveau de restriction des libertés à Hong Kong l’UE estime-t-elle la nécessité de sanctions? Se joint-elle aux protestations des États-Unis et du Royaume-Uni ?

Pour la première question, la réponse est simple: non. Je pense que le sommet de Leipzig est toujours dans l’agenda et si les circonstances par rapport à la pandémie le permettent, il aura lieu.

Il y a seulement un pays qui a fait référence à la question des sanctions. Je pense que les sanctions ne sont pas la façon de résoudre les problèmes avec la Chine.

Q. Jusqu'à présent, le fait de publier des déclarations n'a pas permis de dissuader la Chine d'imposer des lois en matière de sécurité nationale à Hong Kong. Quelles sont les prochaines étapes envisagées par l’Union européenne?

Nous allons poursuivre le dialogue et continuerons à tendre la main à Pékin. Notre réaction doit être en adéquation avec les mesures déjà prises. Nous continuerons à essayer d’exercer une pression sur les autorités chinoises pour leur faire prendre conscience du fait que cette question aura une incidence sur la manière dont nous traitons certains thèmes revêtant un intérêt commun. Mais rien d'autre n’est prévu.

Q. Pourquoi l’Union européenne ne s’est-elle pas ralliée à la déclaration conjointe du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Australie et du Canada sur Hong Kong?

Nous publions nos propres déclarations. Nous n'avons pas besoin de nous joindre aux déclarations formulées par d'autres pays.

Q: Pensez-vous également que Hong Kong ne bénéficie plus d'une véritable autonomie vis-à-vis de la Chine?

La décision en question a porté un rude coup à l'autonomie de Hong Kong; elle compromet l’autonomie de ce territoire.

Q: La position de l’Union européenne serait-elle différente si le Royaume-Uni faisait toujours partie de l’Union?

Non.

Q: Les événements qui ont lieu à Hong Kong entraînent un changement soudain de la loi. Les accords d’investissement avec la Chine sont-ils menacés? Vous avez parlé d’une stratégie plus solide; des avancées ont-elles été réalisées sur ce front aujourd’hui?

Le Conseil s’est réuni de manière informelle et a été consacré à des questions générales. On ne peut pas s'attendre à ce qu'une nouvelle stratégie soit déjà en cours d’élaboration après ces échanges. Il s’agissait d'une réunion informelle et ce fut très intéressant de prendre le pouls de chaque État membre en ce qui concerne cette situation. Nous allons poursuivre les discussions à ce sujet mais on ne peut pas attendre d'un Conseil informel qu'il débouche sur un document qui ressemble à la perspective stratégique sur la Chine qui a été publiée au mois de mars dernier.

Mais il ne fait aucun doute qu'un nouveau document de ce type sera élaboré, une nouvelle perspective sur la Chine qui tienne compte de tous les événements récents: la pandémie, Hong Kong, la nécessité de garantir des conditions de concurrence équitables, les déséquilibres dans nos relations, les évolutions qui interviennent en Chine, le caractère plus volontariste de la diplomatie de ce pays. Tous ces éléments seront rassemblés et feront l'objet d'une réflexion de l’Union européenne pour finalement aboutir à l’élaboration d'un document. Mais ce n’était pas l'objet de la réunion de ce jour.

Q: Les événements qui ont lieu à Hong Kong compromettent-ils les accords d’investissement avec la Chine?

Non.

Q. Les intérêts sont-ils devenus plus importants pour l’Union européenne que les valeurs?

Notre Union est fondée à la fois sur des valeurs et sur des intérêts. Nous nous efforçons de défendre nos intérêts et de préserver nos valeurs, dans ce cas comme dans d'autres.

Q. Vous avez parlé d'une stratégie plus solide vis-à-vis de la Chine. Un consensus s’est-il dégagé en faveur d'une telle stratégie aujourd'hui? En quoi consisterait-elle plus précisément?

Je ne peux pas entrer davantage dans les détails. Comme je l'ai dit, il s'agissait d'une réunion informelle: une confrontation d’idées, un échange de vues et de positions entre les États membres sur les nombreux éléments qui composent cette relation complexe. J’ai présenté un premier rapport, étayé par plusieurs transparents, pour expliquer le déséquilibre de nos relations économiques, nos positions sur plusieurs sujets, du changement climatique aux investissements et l'absence de progrès dans les négociations relatives à l’accord sur les investissements. Tous ces sujets ont été mis sur la table; on en a discuté, mais il n’y a pas de conclusions pour l’instant.

Q. Pourriez-vous exposer dans le détail la réaction des ministres des affaires étrangères par rapport à l’autonomie stratégique en ce qui concerne la production d’équipements médicaux dans l’Union européenne.

C’est l'une des choses que nous avons examinées. La pandémie a montré qu’en période critique l’économie mondiale n’est pas en mesure de répondre à toutes les demandes tant en ce qui concerne tant les quantités que les lieux. Certaines insuffisances sont dues au fait que nous avons arrêté de produire dans nos pays certains produits essentiels, en particulier dans le secteur pharmaceutique. Il va falloir constituer des stocks stratégiques.

Pourquoi disposons-nous de réserves stratégiques de pétrole? Pourquoi stockons-nous du pétrole? Parce qu’à un moment donné, il y a eu une crise et il n’était plus possible de s'approvisionner en pétrole. Depuis, nous avons décidé de constituer des réserves stratégiques. Aujourd’hui, nous avons vu qu’en période critique, certains produits qui n’étaient pas considérés comme essentiels le sont devenus parce que l'on ne parvenait plus à s’approvisionner. La logique produira le même genre de réaction. Nous devons disposer de réserves de certains produits qui n'étaient pas considérés comme essentiels mais qui peuvent le devenir à un certain moment. L'approvisionnement peut être réduit ou il peut y avoir pénurie. Nous devrons réagir de la même manière que nous l'avons fait lorsque nous avons décidé de créer des réserves stratégiques de pétrole.

Q. La question des droits de l’homme a-t-elle été abordée? Notamment, a-t-on évoqué la question des droits de l’homme des Nigérians en Chine puisque certains rapports font état de mauvais traitements à leur égard?

Oui, ce sujet a été évoqué lors des discussions. Certains États membres l’ont abordé dans le cadre des échanges relatifs à la situation des droits de l’homme et à certains événements qui touchent des ressortissants de pays africains.

Q.  Le Conseil a-t-il parlé de la Libye dans le cadre des questions d'actualité? Les États membres de l’UE font-ils preuve d'unité sur la question libyenne? De quoi sont-ils convenus?

Cette question ne figurait pas à l'ordre du jour. J’ai indiqué qu’en ce qui concerne la situation en Libye, il n'y a malheureusement aucun élément nouveau dont on puisse faire rapport au Conseil et qui puisse donner lieu à une discussion.

Lien vers la vidéo: https://audiovisual.ec.europa.eu/en/video/I-191637