Protection des femmes et des filles contre les violences basées sur le genre

23.03.2021

Mois de la Femme - #InspirésParElles - " Redonner confiance aux victimes afin qu'elles puissent porter plainte" - Carine Matangana, animatrice chez Azur Dévéloppement

 

Les actes de violences sexuelles et leurs conséquences, outre les effets dévastateurs qu’ils provoquent sur les victimes ainsi que sur leurs familles ne sont pas dénoncés ou alors, sous- estimés la plupart du temps. Face à l'insuffisance des mesures prises, juridiques notamment, les ONG de prise en charge et d'accompagnement des victimes ont un rôle central à jouer.  Dans les dispositifs d'appui qu'elles mettent en place, les animatrices sont des pièces maîtresses. L'un des premiers défis consite à redonner confiance aux victimes afin qu'elles puissent porter plainte. C’est le travail de Carine Matangana. Cette trentenaire dynamique est animatrice principale au guichet unique de l'ONG Azur Développement depuis 2016.  Au quotidien, elle assure l’écoute, l’orientation, l’accompagnement et la prise en charge multiple des femmes et enfants victimes de violence.

«  J’accompagne les femmes et les enfants victimes de violence dans les services appropriés comme l’hôpital, les commissariats de police, la gendarmerie et le parquet. Je les appuie dans la rédaction, le dépôt et le suivi  des plaintes au sein de ces différentes structures », explique d’emblée Carine Matangana.

Des responsabilités qui demandent de l'empathie, requièrent discrétion, patience, sens de l’écoute sans porter le moindre jugement, et surtout, de la disponibilité car dit-elle, « la victime arrive traumatisée et a besoin qu’on la rassure Il est essentiel de créer un climat de confiance, entre elle et moi, puis de lui donner du temps, autant que nécessaire. Certaines de ces victimes sont bloquées par rapport à ce qu’elles ont subi. Après cette phase, même celles qui sont réticentes parviennent à s'exprimer», rapporte Carine Matangana. 

Dans l'exercice de ses fonctions, elle explique avoir remarqué deux formes de violence qui se répètent souvent : les violences sexuelles et les violences économiques. Les premières touchent les femmes au plus profond de leur être et les brisent physiquement et psychologiquement. Les secondes les installent dans une précarité financière qui, sur la durée, achèvent de les "asservir" et créent une dépendance malsaine, vis-à-vis des auteurs de violences, (souvent des hommes) dont elles ont du mal à se libérer, surtout lorsqu'elles ont des enfants.

Carine Matangana fait remarquer qu'en outre, la plupart de ces violences, notamment les actes de viols sur de jeunes filles se produisent au sein de la cellule familiale, de l’entourage proche et quelques fois, au niveau des établissements scolaires. « Nous recevons trois à quatre victimes par jour, et la tranche d’âge varie entre 6 et 14 ans. Ce sont en général des enfants victimes d’inceste ou abusés par des personnes du voisinage et parfois, de l’école ». 

L’occasion pour Carine Matangana d’appeler les adultes en charge de ces enfants à plus de vigilance et de responsabilité : « Je tombe souvent des nues quand j’apprends que certains parents envoient des mineurs au marché tard le soir. C’est vraiment irresponsable de leur part ! martèle-t-elle, quand on sait les risques que ces petites filles encourent, même quand il s’agit d’un marché situé dans le quartier, à proximité du domicile ».

De la même façon, l’animatrice se dit choquée quand elle entend certaines réflexions qui rejettent sur les victimes elles-mêmes la responsabilité des violences qu’elles ont subi. « J’entends notamment que si des femmes ou des filles sont violées, c’est en rapport avec leur habillement ou encore qu’elles l’ont bien cherché ! ça me révolte ! Rien, absolument rien ne peut justifier et ne justifiera jamais un viol.  Pourquoi dans ce cas, de très jeunes enfants de 3, 4 ou 5 ans sont violés ? Quelle raison donner à cet acte barbare ? Ce n’est sûrement pas à cause de leurs vêtements ! »  s’énerve Carine Matangana indignée.

Face à de tels comportements, un des leviers d’action de l’ONG repose sur la sensibilisation. Les équipes d’Azur développement se déploient dans les quartiers, à l’école, à l’église afin d’inciter non seulement les femmes et les filles à dénoncer les violences dont elles sont victimes mais aussi en amont, à les identifier, à repérer des situations potentielles qui pourraient les favoriser pour les stopper ou les contourner :

« Lors de nos séances de sensibilisation, explique-t-elle, nous expliquons aux petites filles qu’il ne faut pas parler à des inconnus ou se laisser accompagner par eux, de ne pas accepter de les suivre chez eux, d’entrer dans leur maison ou dans leur chambre ou de recevoir des cadeaux de leur part, d’ôter leurs vêtements s’ils le leur demande,  ou alors, qu’ils se déshabillent devant elles. Enfin, déclare-t-elle, nous insistons sur le fait de dénoncer l’auteur des violences, même quand c’est un frère, un oncle ou un père qui en est à l’origine ».

Dans ces cas particuliers, l’animatrice reconnaît que peu d’affaires aboutissent car de nombreuses familles procèdent à des arrangements à l’amiable, oubliant la douleur des victimes ainsi que les conséquences sur le court comme sur le long terme. « Les familles en comprennent pas ou ne se rendant pas comptent du mal qu’elles font. Se taire ne fait qu’empirer les choses : les victimes souffrent, perdent confiance, développent des troubles du comportement et de l’autre côté les coupables eux répètent les mêmes délits en toute impunité ! ».

Ce constat amer a par ailleurs conduit Azur Développement à mettre l’accent sur un autre levier : l’accompagnement juridique. Un travail sur la durée qui requiert fermeté, vaillance et surtout patience, notamment lorsqu’il s’agit  d’accompagner la victime dans ses démarches auprès des services de la police et de la gendarmerie. Là également, l’écoute et l’empathie espérés ne sont pas toujours au rendez-vous : « Quand vous tombez sur un agent qui n’est pas formé et qui ne rassure pas la victime, cela peut avoir des conséquences graves pour la suite car très souvent la victime se renferme. Pour pallier cette difficulté, nous travaillons régulièrement avec un policier qui a été formé sur les violences basées sur le genre, et nous sommes satisfaits de cette collaboration » a souligné Carine qui déplore cependant les pesanteurs administratives.

« Les sessions criminelles ont lieu tous les deux ans et donc c’est difficile que la victime trouve satisfaction rapidement. En général, ce sont des arrangements qui ne permettent pas à la victime d’envisager un avenir serein par crainte à nouveau d’être la proie de son agresseur ».

Un constat difficile alors que paradoxalement « Et il faut s’en réjouir », souligne Carine Matangana, de plus en plus de femmes et filles brisent le silence. « Redonner confiance et de l’espoir aux victimes est une raison suffisante pour moi de venir travailler chaque matin poursuit-elle. Les victimes doivent comprendre que les coupables doivent être punis. Je veux continuer à les accompagner dans ce sens » conclu l’animatrice.

Woman with a mask on her hands

Carine Matangana (par Jennifer Mank)

 

Article rédigé par Berna Marty

Droits de l’homme et démocratie