Le portrait d'une femme puissante

03.11.2020

La capitaine Nicolette Wolobili, 50 ans et mère de six enfants, est la commandant du premier groupement de la gendarmerie territoriale à Bangui, capitale de la République centrafricaine.

Femme de nombreuses premières, comme lorsque celles-ci ont été autorisées en 1990 à s’intégrer à la formation initiale de la gendarmerie nationale, elle en faisait partie : sur 250 candidates, seules 32 ont été retenues. Aujourd'hui, sur un total de 24 postes de commandement dans la gendarmerie territoriale, la capitaine Wolobili est la première et jusqu'à présent la seule femme à en occuper un. De plus, dans sa vie personnelle, elle a aussi été la première de sa fratrie à réussir à entrer au lycée.

Mais tout cela n’a été rendu possible que par de nombreuses luttes dans sa vie personnelle et professionnelle...

« J'ai passé mon enfance et ma jeunesse dans un Bangui très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui », explique la capitaine. « C'était l'époque de « Bangui la coquette, ville de pari » et nous étions la référence régionale pour la télévision, pour la radio, pour tout ce qui était moderne. »

Même si la vie en général était bonne et paisible à Bangui à cette époque, la réalité au sein de la famille Wolobili était tout autre. Le père de la capitaine a eu du mal à accepter le fait qu'une fille soit née à la place d'un autre garçon. Il battait sa femme et disait qu'il voulait divorcer. Leur prêtre catholique a refusé cette demande.

« Mais ma mère a persisté et a collecté l’argent nécessaire. Elle cultivait des produits vivriers et les vendait au marché, et m'a mise à l'école avec cet argent. Et j'ai été persistante, j’appréhendait facilement à l’école », la capitaine poursuit : « C'est ainsi que j'ai réussi à entrer au lycée comme premier enfant de la famille. Mes frères, que mon père a également encouragé à me battre, ont tous échoué. Je voulais montrer à tout le monde que je pouvais réussir et rendre ma mère fière. Et c'est ce que j'ai fait. »

Comme dans sa famille, la vie au lycée s'est aussi révélée être une lutte. C'était une école mixte et certains garçons avaient du mal à accepter qu’une fille les dépasse. Il était donc naturel pour la jeune femme utilise les compétences qu'elle avait acquises dans sa jeunesse : une combinaison de force mentale et physique. 

« J'avais l'habitude de protéger les filles les plus faibles à l'école car j'avais le courage d’affronter les garçons sans peur » dit la capitaine. « C'est ainsi que, vu mon aptitude, mon professeur d'éducation physique et sportive m'a proposé de postuler pour intégrer la gendarmerie nationale en 1990, première année où l’admission des femmes était possible. Je me suis dit pourquoi pas, car il n'était pas possible de réaliser mon rêve de devenir avocate et je voulais rendre ma mère fière".

Même si la formation était extrêmement dure et exigeante, elle n’a pas connu de nouvelles discriminations. Dès le début, l’esprit d'équipe a été très fort entre tous les nouvelles recrues, esprit d’équipe qui s’est poursuivi puisque depuis la fin de la formation en 1990, la promotion se réunit le 14 juillet de chaque année, date historique de leur entrée à la Gendarmerie.

Cependant, la situation sur le terrain s'est avérée bien différente.

Lors de ses affectations sur différents postes de commandement à travers le pays, la capitaine Wolobili a été témoin et victime de harcèlements sous différentes formes : sexuel, physique, mental... Elle parle des hommes qui ne veulent pas voir leurs collègues femmes progresser, de nombreuses barrières de glace s’opposent à leur promotion. En tant que femme, il était évidemment plus difficile non seulement d'obtenir une promotion, mais aussi de s'inscrire à des formations et des cours internes tout comme a l’étranger. Lors des procédures de candidature, celles des femmes disparaissent.

« Il y a eu des collègues hommes qui voulaient diminuer la valeur des femmes », explique-t-elle avant de poursuivre « j'ai donc dû travailler énormément pour réussir, pour me retrouver là où je suis aujourd'hui. Ce n'était pas facile, mais j'ai persisté, je n'ai pas abandonné. »

Aujourd'hui, la capitaine Wolobili commande trois compagnies, avec plus de 200 subordonnés sous ses ordres. "Au début, ce n'était pas facile", décrit-elle, "mais j'ai montré du professionnalisme et mon grand sens moral. Des ma prise de fonction a la tête du Groupement, j'ai fait le tour de toutes les compagnies, pour une prise de contact aux fins leur montrer mes directives de commandement, tout en les rassurant de me faire confiance. Bien évidemment, il y a eu aussi des difficultés mais j'ai conseillé et corrigé mon personnel et, si nécessaire, j'ai pris des mesures disciplinaires qui s’imposaient".

Selon la capitaine, les femmes peuvent être un atout pour la gendarmerie de différentes manières. Dans le travail quotidien, les femmes victimes et/ou auteurs des délits préfèrent souvent se livrer avec une autre femme. Il y va de même pour les interrogatoires, explique la capitaine Wolobili, car il existe des luttes sociales communes à toutes les femmes donc elles se comprennent mieux.

Sous sa direction, la capitaine Wolobili veut adopter une approche globale. « Il est important de ne pas seulement regarder la situation professionnelle mais aussi familiale. Ainsi, s'il y a un problème avec la famille de l’un de mes subordonnes, je peux le voir aussi dans son rendement au bureau. C'est pourquoi il est important de regarder la situation dans son ensemble et d'utiliser aussi d’avoir un sens humanitaire dans le commandement, en tant qu'être humain, en tant que femme «, explique la capitaine en souriant chaleureusement.

Au 30 septembre 2020, les forces de sécurité intérieure de la RCA comptaient 4 934 membres. Sur les 2 270 policiers, 26 % étaient des femmes, tandis que sur les 2 664 gendarmes, le nombre de femmes n'est que de 14 %. Il reste du travail à faire pour atteindre le quota minimum de 35 %, imposé par la législation nationale.

Rédigé par Leena Vastapuu, spécialiste en planification et rapports à la Mission de conseil de l’Union européenne en République centrafricaine

La mission EUAM RCA intègre les aspects liés au genre dans toutes ses activités avec les Forces de Sécurité Intérieure de la RCA et soutient la participation des femmes à la paix et à la sécurité, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies. La mission compte actuellement 45 membres, dont 9 femmes (20 %). Elles occupent divers postes, comme celui de conseiller politique et de chef du département de soutien. En outre, 2 hommes et 4 femmes devraient rejoindre la mission dans les prochains mois.

Les recommandations de la capitaine Wolobili pour améliorer l'égalité des genres dans les forces de sécurité intérieure et dans la société en général :

  • Les femmes ont besoin de comprendre et d'apprécier leur propre valeur. Nous devons nous lever pour démonter nos capacités dans tout domaine, nous ne devons plus rester dans l'ombre pour seulement occuper les postes subalternes. On ne soulignera jamais assez la solidarité entre les femmes : nous devons toujours soutenir nos sœurs.
  • Les hommes doivent comprendre qu'un monde égal profite à tous. En tant que femme et homme, nous nous complétons mutuellement et lorsque nous comprenons cela, nous pouvons travailler ensemble pour la paix et l'égalité. Cela s'applique aux parents, aux enseignants, aux anciens des villages, à tout le monde. Lorsque cela est réalisé, le bris des barrières de glace, sera effectif.
  • La charge d’une famille, les grossesses, l’allaitement (les besoins spécifiques) doivent être prises en compte pour ne pas être considérer comme un obstacle pour l’obtention d’une promotion.