Fête de l'Europe 2021 : Discours de l’Ambassadeur de l’Union européenne en République démocratique du Congo, M. Jean-Marc Châtaigner

10.05.2021
Brussels

 

 

 

Fête de l’Europe 2021

 

 

 

 

Discours de l’Ambassadeur de l’Union européenne en République démocratique du Congo, M. Jean-Marc Châtaigner

 

Kinshasa (Académie des Beaux-Arts), 9 mai 2021

 

 

 

 

 (Seul le prononcé fait foi)

 

#UE60ansRDC

 

 

 

Bonjour à toutes et tous,

Je souhaiterai tout d’abord vous souhaiter la bienvenue en lingala pour cette fête de l’Europe. Je voudrai ici sincèrement vous remercier de votre présence. Nous reprenons ainsi une solide tradition diplomatique interrompue l’an passé par la pandémie de COVID-19. Nous espérons évidemment que le retour de cette tradition n’appellera pas le retour d’une autre grande tradition de la journée du 9 mai en République démocratique du Congo, celle de la pluie. Nous avons fait appel aux meilleurs spécialistes pour que cela ne soit pas le cas, mais évidemment une mauvaise surprise ne peut jamais être exclue…

Je veux tout d’abord chaleureusement remercier notre hôte et partenaire, mon ami Henri Kalama, directeur général de l’Académie des Beaux-Arts qui nous accueille dans ce magnifique espace verdoyant, où se côtoient statues et palmiers Malebo. Une mention spéciale également pour notre partenaire historique, la « cellule d’appui à l’Ordonnateur national du Fonds européen de développement », connue de toutes et tous sous le nom de COFED, que je remercie pour son formidable appui à la co-organisation de cet événement.

Comme vous avez pu le constater en entrant, notre cérémonie d’aujourd’hui est placée sous le signe du strict respect des mesures barrières contre le COVID-19. Même si la maladie a relativement épargné jusqu’à présent la République démocratique du Congo, et nous nous en réjouissons tous, nous avons forcément une pensée pour nos amis, nos proches, nos familles qui, ici ou ailleurs dans le monde, ont pu en être victimes. Permettez-moi d’avoir un petit mot pour deux amis que j’avais rencontrés à mon arrivée et qui sont malheureusement décédés trop tôt en 2020 du COVID-19, Pierre Lumbi et Noël Camilieri, tous deux congolais et européens de cœur et de passion.

Nous savons tous que le combat contre cette maladie n’est pas terminé et que nous devons le poursuivre. L’apparition de certains variants a d’ores et déjà eu des conséquences dévastatrices dans des pays comme l’Inde, et on ne peut malheureusement exclure que la pandémie ne revienne sous des formes plus dramatiques, y compris ici en Afrique centrale. Pour lutter contre le COVID-19, atténuer sa propagation et ses formes graves, le vaccin constitue un instrument dont l’efficacité est certaine et auquel nous devons avoir recours. Je me suis moi-même fait vacciner, parce que je suis convaincu qu’en me vaccinant, non seulement je me protège, je protège mes proches, mais je participe aussi à notre immunité collective et à notre victoire dans la lutte contre cette maladie. 

La pandémie de COVID19, tout comme l’impact de plus en plus visible du changement climatique, ou encore la réduction rapide de la biodiversité, nous fait prendre conscience chaque jour que nous vivons dans un monde que nous avons en commun, et que nous devons préserver ensemble. Aujourd’hui l’enjeu est bien d’agir collectivement, dans un cadre multilatéral, pour faire face avec succès aux défis et aux menaces qu’affronte notre planète. Les égoïsmes nationaux constituent une voie qui peut parfois paraitre commode, mais qui est sans issue. Sans solidarité entre les nations, nos peuples ne réaliseront aucun progrès durable, n’établiront pas les conditions d’une paix stable, ni d’un développement humain équitable, ne construiront simplement pas un avenir d’espoir pour nos enfants et petits-enfants.

Cette solidarité est indispensable et nous découvrons qu’elle est vitale. Elle est le sens profond du partenariat que la République démocratique du Congo, l’Union européenne et ses Etats membres bâtissent ensemble depuis maintenant plus de 60 ans. Ce partenariat est bâti sur les valeurs et principes fondamentaux que nous avons en commun, et qu’ensemble nous avons gravés dans l’accord de Cotonou et son successeur. Je veux citer notamment l’égalité des partenaires et l’appropriation des stratégies de développement, la participation à la vie économique, politique et sociale, de toutes les couches de la société, du secteur privé et de la société civile, le rôle central du dialogue et le respect des engagements mutuels.

La récente visite du Président Charles Michel fut la toute première visite, dois-je le rappeler, d’un Président de Conseil européen en République démocratique du Congo. Elle est venue confirmer l’excellence de notre relation et asseoir un véritable climat de confiance pour avancer sur le traitement des dossiers régionaux et tout à la fois intensifier notre coopération bilatérale. A travers cette visite et les contacts que nous poursuivons, l’Union européenne et ses Etats membres accompagnent et soutiennent l’ambitieux programme que le Chef de l’Etat, le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, entend mettre en œuvre à la tête de l’Union africaine. Il nous faut faire face ensemble à l’impact économique et financier de la pandémie de COVID-19, faire en sorte que les progrès sociaux et humains enregistrés ces dernières années ne soient pas effacés, s’assurer que les nations africaines contribuent de plain-pied à la nouvelle économie mondiale plus équitable, plus durable et sans doute plus frugale, que nous devons imaginer, projeter et construire ensemble.

L’Union européenne se tient aux côtés de la République démocratique du Congo dans ses efforts pour consolider son processus démocratique, garantir l’Etat de droit et faire respecter les droits humains dans toutes leurs dimensions, y compris l’égalité entre les femmes et les hommes. A vos côtés aussi pour renforcer l’action d’une justice indépendante pouvant s’appuyer sur des forces de l’ordre respectées et respectueuses de la population. On dit des institutions qu’elles sont le produit de la sagesse accumulée des générations passées. Or, partout dans le monde, à un degré ou un autre, les institutions peinent à s’adapter aux changements si rapides de notre environnement naturel, humain et politique commun. C’est le cas aussi en République démocratique du Congo, qui aurait tant à gagner à améliorer la gestion concertée de ses biens publics et de ses ressources, que ce soient la forêt, l’eau, l’impôt, ou la paix, pour n’en citer que quelques-uns. Pour paraphraser Jean Monnet, un des Pères fondateurs de la construction européenne, rien n’est possible sans les personnes, mais rien n’est non plus durable sans les institutions. Pour nous qui poursuivons avec conviction, mais non parfois sans heurts, la construction de l’Europe, cette approche fait partie de nos gènes. Vous pouvez compter sur nous pour explorer ensemble, à travers notre dialogue politique et notre coopération, ce qu’elle offre et ce qu’elle suppose dans votre pays aussi.

Permettez-moi maintenant de mentionner trois points sur lesquels nous connaissons et reconnaissons l’engagement des plus hautes autorités de la République démocratique du Congo :

  • la préparation et l’organisation des prochaines élections que, tous, nous voulons libres, inclusives, transparentes et impartiales, respectant l’échéance constitutionnelle de 2023, avec l’inscription et l’adoption au calendrier parlementaire de cette année des réformes attendues de la Commission électorale nationale indépendante et de la loi électorale ;
  • la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous saluons le pourcentage historique et inédit de femmes que compte le Gouvernement du Premier ministre Sama Lukonde. La participation active et significative des femmes à la prise de décision est, partout dans le monde, une condition cardinale pour le progrès humain, la croissance économique, la gouvernance démocratique, la paix et la sécurité ;
  • la protection de celles et ceux qui défendent les droits humains, veillent sur l'espace démocratique et œuvrent pour la dignité humaine de chaque femme, homme et enfant du pays. Aujourd'hui, avec le Gouvernement congolais, la société civile et ses autres partenaires, l’Union européenne s’honore d’apporter une assistance d'urgence aux défenseurs des droits humains dans les 26 provinces de la République démocratique du Congo.

Cette année encore, je ne peux manquer d’évoquer avec vous la situation dans l’Est du pays.

Toutes et tous, nous avons été meurtris par les assassinats au début de février près de Goma de l’ambassadeur d’Italie Luca Attanasio et de ses deux accompagnateurs, son garde du corps Vittorio Iacovacci et son chauffeur Congolais du Programme alimentaire mondial, Mustapha Milambo. Luca était un collègue, un ami, marié à une femme époustouflante, Zakia, père de trois petites filles adorables. Je ne t’oublierai jamais mon ami Luca, ton sourire, ta conviction, ton enthousiasme au service de l’amitié entre l’Italie et la République démocratique du Congo, ton implication avec Zakia au service des plus démunis, des enfants pauvres et des orphelins de Kinshasa. Je voudrai ici que nous puissions consacrer une minute de silence à Luca, Vittorio, Mustapha et à toutes les victimes des violences meurtrières dans les provinces de l’Est du pays.

Le retour à la paix durable, préalable indispensable au développement et à l’amélioration des conditions de vie des populations, doit être, plus que jamais, notre priorité absolue.

Contrairement aux commentaires hâtifs, les « yakafokon », je crois qu’on dit ici les « bilobaloba », qui fourmillent dans les réseaux sociaux, il n’existe pas de solution simple et rapide, il n’existe pas de baguette magique pour éliminer le système de conflit qui s’est établi et enraciné depuis un quart de siècle. Cette situation complexe est caractérisée notamment par des discours de haine et de stigmatisation, par la brutalisation des communautés qui crée un habitus de violence, par l’ampleur des violences sexuelles et l’utilisation – horrible - du viol comme « arme de guerre » (si justement dénoncées par le Prix Nobel de la Paix, le Dr Mukwege). Elle est aussi caractérisée par le dangereux recours aux milices d’autodéfense, l’installation d’intérêts politico-mafieux qui profitent de l’affaiblissement de l’Etat pour piller les ressources naturelles. La complexité de cette situation appelle donc une réponse intégrée, globale et coordonnée du Gouvernement et des autorités nationales, de tous les partenaires internationaux et, last but not least, des pays voisins.

Nous devons mieux conjuguer nos actions nationales et internationales, militaires et civiles, et tous nos instruments d’intervention pour éradiquer l’économie de guerre, redonner confiance aux communautés, rendre justice pour tous les crimes commis, prévenir les conflits fonciers et pastoraux, et donner l’opportunité aux combattants de renoncer aux armes et se réinsérer dans la vie civile, pour autant qu’ils n’aient pas commis de crimes de guerre. Nous prenons acte de la décision souveraine de la République démocratique du Congo de promulguer l’état de siège dans ses deux provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. L’état de siège ne portera ses fruits que s’il respecte les règles fondamentales du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Il doit aussi être une occasion décisive de renforcer la synergie de nos approches politique, de sécurité et de développement.

Dans ce combat pour le retour à la paix, il y a un autre adversaire, que nous ne devons pas sous-estimer, celui de la désinformation et des rumeurs. Il s’agit d’un poison savamment distillé par certains pour mieux masquer leurs propres turpitudes et semer le trouble et la confusion. Tout un chacun peut bien sûr avoir ses propres opinions, discuter par exemple du mandat de la MONUSCO, remettre en question l’efficacité de certaines interventions humanitaires et de développement, contester tel ou tel aspect de nos politiques européennes. Mais manipuler certaines images, comme on l’a fait après la mort de l’ambassadeur Luca Attanasio, déformer des propos, inventer et rapporter des faits imaginaires, instrumentaliser les sentiments de façon populiste pour laisser accroire que la communauté internationale serait responsable de la crise dans l’est, me paraît inconscient, pour ne pas dire criminel.

Les enjeux de développement de la République démocratique du Congo ne se résument évidemment pas à Kinshasa et aux provinces en conflit de l’Est. Depuis mon arrivée en septembre 2019, j’ai eu la chance de pouvoir visiter le Sankuru, le Kongo central, le Haut-Katanga, le Sud-Kivu, le Nord-Kivu, la Tshopo, le Nord-Ubangui et le Bas-Uele. Je me rendrai à la fin du mois au Kasaï et au Kasaï central. Je crois savoir que d’autres invitations m’attendent. Chacun de mes déplacements me permet de découvrir de nouvelles facettes de votre magnifique pays, dont les ressources sont loin, très loin, de se résumer à son sous-sol. C’est un incroyable paradoxe que la République démocratique du Congo soit parmi les pays les plus pauvres du monde, que des millions de personnes y connaissent encore une grave insécurité alimentaire, alors que les ressources agricoles, forestières, hydrauliques, énergétiques, abondent.

Je n’oublierai pas de mentionner l’humain, qui est pour moi la plus grande richesse de toute nation. Aucun pays ne peut se construire sans s’appuyer sur ses talents et valoriser toutes ses capacités. Le développement humain, l’investissement dans l’éducation et la formation professionnelle sont au cœur de toute dynamique de développement. Les jeunes diplômés d’aujourd’hui sont les entrepreneurs de demain, les décideurs et les créateurs de richesse d’après-demain. Tout doit être fait pour que ces énergies créatrices puissent être libérées et s’exprimer.

Je souhaite clôturer mon intervention en évoquant une autre ressource, parfois méconnue, je veux parler de l’immensité du champ culturel congolais. Quand on dit « culture » on pense bien sûr au patrimoine congolais, que ce soit sa musique - la Rumba congolaise pourrait être inscrite d’ici décembre 2021 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité -, la danse, la littérature, la peinture et les arts plastiques, si magnifiquement représentés dans l’académie qui nous accueille. Mais la culture est aussi un élément essentiel de la prévention et la gestion des conflits. La culture vivante, notre héritage culturel, matériel et immatériel, forgent notre identité, nos récits communs et notre rapport au monde. Enfin, la culture est source d’emploi et de revenus, ce qui a fait surgir le concept « d’industries culturelles ».

Le partenariat entre l’Union européenne et la République démocratique du Congo ne se situe donc pas seulement sur le terrain politique, économique ou social : la culture en est un élément essentiel. C’est d’ailleurs un des sujets, je ne trahis pas de secret diplomatique, qui ont été longuement discutés par le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, et le Président du Conseil Européen Charles Michel dans le cadre des priorités de la présidence congolaise de l’Union africaine.

Cette Journée de l’Europe est ainsi l’occasion de lancer officiellement notre nouveau projet de trois ans avec le réseau des instituts culturels nationaux de l'Union européenne. Connu sous le sigle « EUNIC », ce réseau regroupe l’Institut français, le Centre Wallonie-Bruxelles, le Goethe-Institut, auxquels sont ici associés à Kinshasa les Ambassades du Portugal, d’Espagne et d’Italie. A travers ce nouveau projet, le réseau EUNIC va notamment poursuivre son soutien à l'Académie des Beaux-Arts. Ceci passe notamment par la fourniture d’équipements (qui nous remettrons officiellement tout à l’heure), mais aussi par des échanges avec des artistes et des spécialistes africains et européens. La culture est l’affaire de tous : artistes et amateurs, hommes et femmes, citoyens, jeunes, autorités publiques et politiques. Que cette célébration de la journée de l’Europe soit l’occasion de le réaffirmer tous ensemble !

Je terminerai ce discours en vous disant quelques mots en swahili. Une des grandes richesses de la République démocratique du Congo est en effet sa diversité linguistique et la variété de ses langues. C’est un immense atout pour votre pays que de pouvoir parler plusieurs langues et ainsi de pouvoir complètement s’insérer dans son environnement régional. Le plurilinguisme nourrit la créativité et favorise le partage des connaissances et des savoirs. J’espère donc pouvoir aussi m’exprimer devant vous l’an prochain en tshiluba et kikongo !

Levons nos verres à la République démocratique du Congo, à l’Union européenne et à la poursuite de l’amitié européo-congolaise !